Aller au contenu
Journées de Lisbonne 2016

En mai 2016 à Lisbonne, à l’initiative de Carlos Ribeiro, Caixa de Mitos et de la plateforme ABC NEET, se sont déroulées des journées internationales autour des questions d’insertion et d’accompagnement du public jeune. Yann Le Bossé (Université Laval Québec), Jean-Hugues Morales (CEID, TAPAJ Bordeaux), Bassou Benyoucef (Association Asmoune), Agnès Heidet et André Chauvet (Kelvoa) y sont intervenus. De très nombreux professionnels portugais et des représentants institutionnels nationaux ont contribué au succès de ces journées.

Les quelques éléments ci-dessous visent à fournir des points de repère sur les échanges et à tracer quelques perspectives de travail en commun. Les 4 thèmes, dont nous présentons ci dessous la synthèse, correspondent à des différents ateliers. Nous avons dissocié ces questions mais elles sont nécessairement articulées dans la pratique.

1- Prévention et repérage

Comment analyser les problématiques de rupture, d’abandons, de décrochage ?  Sur quoi et comment agir ?

Si tout le monde s’entend sur la nécessité de prendre en compte les difficultés d’insertion de la jeunesse à un moment où les cadres traditionnels d’intervention sont moins efficaces (faire des longues études ne protège plus du chômage, les situations de travail restent précaires, les parcours sont plus complexes et aléatoires), les réponses proposées ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux. Elles oscillent entre des réponses macro économiques (faciliter la croissance et la création d’emplois, simplifier et rendre moins couteux le recrutement des jeunes…) et des interventions auprès des jeunes (faciliter leur employabilité, réduire les obstacles personnels rencontrés …). Rien ne doit être négligé et nous avons tous conscience que les facteurs sont multiples, qu’ils interagissent et qu’il n’y a donc pas une solution unique au problème rencontré.

Car tout peut inciter au découragement, tant les personnes que les professionnels qui les accompagnent. Les cadres de réflexion sont eux même bouleversés par le développement accéléré d’autres formes de travail (parcours hybrides, transformation des contenus du travail avec la numérisation, processus de marginalisation amplifiés par tous ces facteurs conjugués…).

Des notions à clarifier

Les notions de prévention et de repérage sont essentielles mais elles doivent être clarifiées. La prévention s’intéresse aux conditions à mettre en œuvre pour empêcher que la difficulté se présente. Le repérage est plus un processus de diagnostic. Il suppose de repérer les signes qui nous amènent à penser qu’il y a risque d’abandon. De nombreux travaux ont été menés sur le diagnostic précoce. Ils présentent des limites car ils ne prennent pas en compte les contextes qui génèrent ces problématiques. S’ils permettent d’intervenir plus vite, ils ne disent rien ni sur les causes et peuvent également amplifier les risques de stigmatisation. Alors que la faible estime de soi, le sentiment de ne pas pouvoir agir sont déjà très présents chez ces jeunes.

La notion de prévention

La notion de prévention nous paraît plus intéressante et moins explorée dans le champ des politiques de jeunesse. Elle nous oblige à regarder les choses différemment et à poser des questions très concrètes. Qu’est ce qui fait qu’un jeune se sent acteur ? Concerné ? Qu’est ce qui fait qu’il a le sentiment de contrôler un peu sa propre vie ? Qu’est ce qui fait qu’il se sent appartenir à une communauté élargie, au delà de ses seules relations de proximité ?

C’est autour de ces enjeux que se situent nos modes d’intervention. Nous pouvons en évoquer cinq :

  1. Le premier s’appuie sur le contexte. Il vise à permettre aux jeunes de contribuer à agir sur leur propre contexte de vie (lieu de formation, habitat, loisirs, solidarités entre générations, éco citoyenneté). Il cherche également à développer les conditions collectives d’un climat convivial, joyeux, non formel très important pour les jeunes qui peuvent renoncer assez vite si le climat est pesant ou trop institutionnel.
  2. Le deuxième s’appuie sur la coopération. Cette coopération ne se réduit pas à travailler en équipe mais à contribuer à la définition même du projet collectif. Avec l’idée que ce projet puisse être fédérateur, que chaque jeune puisse un peu y reconnaître sa contribution. L’énergie mobilisée est alors décuplée.
  3. Le troisième vise à ce que chaque jeune puisse mobiliser des compétences dans les activités proposées ou co construites. Alors qu’il peut n’avoir aucune conscience des ces capacités. On ne cherche pas à évaluer les freins ou les obstacles mais plutôt à activer les ressources. Qu’il n’a peut être jamais eu l’occasion de s’exprimer.
  4. La quatrième vise à aborder les questions individuelles (obstacles personnels notamment) simultanément au travail collectif (et non préalablement) dans une logique plutôt de « chemin faisant » sans faire de la suppression des freins une condition d’engagement.
  5. Ces 4 paramètres (contexte, coopération, activation des compétences en contexte, travail individuel simultané et parallèle) visent toutes à permettre la remobilisation du pouvoir d’agir et donc l’action (le contrôle) de la personne sur sa propre situation au regard de ce qui est essentiel pour elle (et pas nécessairement pour nous). C’est le cinquième paramètre. Reprendre du contrôle sur sa propre vie, se sentir moins impuissant, moins vulnérable.

Facteurs d’engagement des jeunes

Appliqué à la formation initiale ce modèle de l’engagement contribuerait sans doute à réduire les abandons prématurés.

Car ces différents modes d’action se fondent sur une approche très pragmatique de l’engagement et de la persévérance. Car l’engagement des jeunes est lié à plusieurs facteurs.

Le rapport :

  • au temps : immédiateté : C’est quand ?
  • à l’utilité : utilité singulière perçue : à quoi cela me servira ?
  • à la complexité : c’est trop compliqué
  • à l’incertitude/risque : est-ce vraiment sûr ?
  • à la valeur de ce qui est proposé et accessible : Est-ce intéressant pour moi ? 
  • entre les efforts nécessaires et la probabilité d’avoir un résultat intéressant (pour soi) Est ce que cela vaut le coût ? 
  • à l’engagement : « Est-ce réversible ? »

Cette grille assez simple permet d’éviter des jugements à priori sur les jeunes mais surtout de structurer les modes d’intervention et les thèmes de travail coopératifs.

2- Orientation

Comment s’orienter dans un monde incertain ? Comment faire des choix professionnels ?

La question est difficile pour la jeunesse qui a le sentiment justifié que les évolutions sont rapides et qu’il est bien difficile de faire des choix qui seront remis en cause par les changements incessants et accélérés du monde du travail.

Interroger l’appui aux jeunes en terme d’orientation suppose de mener une réflexion plus générale sur les effets du contexte actuel sur les situations et les parcours professionnels des personnes : multiplication des transitions ou des ruptures, non linéarité, imprévisibilité, risques de déclassement, vulnérabilités prenant des formes nouvelles et persistantes, renforcement de déterminismes sociaux…autant de conséquences d’une mondialisation des échanges qui accélère l’obsolescence rapide des repères individuels et collectifs et soumet chacun à des menaces nouvelles et permanentes.

Ces évolutions accélérées et générales amènent à une réflexion tant politique, stratégique que méthodologique sur les formes le plus adaptées de conseil aux personnes pour faire face, tout au long de la vie, à ces situations. Cela nécessite une approche élargie qui prenne en compte à la fois la multiplicité des facteurs agissant mais également leur interdépendance. Cela suppose de préciser plusieurs points.

Clarifier la notion d’orientation dans ce monde incertain

Dans un monde stable, la qualité du processus d’orientation est fortement corrélée à la définition de l’objectif (le but professionnel, le projet). L’idée est que la mobilisation des personnes sera liée à leur attirance pour cet objectif et qu’elles feront les efforts nécessaires pour l’atteindre. Dans un monde incertain, les choses ne se passent pas ainsi. Les aléas sont nombreux, les plans d’action sont rarement mis en œuvre tels qu’ils étaient établis. Par ailleurs, les évolutions du monde professionnel sont rapides et de nouvelles opportunités apparaissent. Le lien entre la formation initiale et l’emploi est beaucoup plus distendu, flou.

Dans ce sens, l’orientation est au moins autant un processus de régulation (faire le point, réguler, réajuster sans cesse) que de planification rigide (avoir un but, établir un plan). C’est donc bien la question de l’agilité qui est au cœur de l’appui aux personnes dans le champ de l’orientation.

Identifier la nature de l’aide à apporter

Concrètement, cela veut dire que l’on doit pouvoir les aider à identifier ce qui est important pour elles, ce qui les mobilise mais également leur permettre d’être ouvertes, curieuses, de découvrir des mondes professionnels inconnus, de vivre des expériences apprenantes qui enrichiront leur représentations d’elles mêmes et du monde. Il s’agit de permettre à toutes les personnes de faire des choix conscients et éclairés.

Pour ce faire, les objectifs sont donc multiples :

  • S’ouvrir à l’environnement socio économique et développer sa curiosité
  • Découvrir par l’expérience ce qui nous tient à cœur
  • Veiller sur les évolutions du monde du travail et chercher à développer ses talents tout au long de sa vie par des formes multiples

Repérer les modalités d’intervention les plus adéquates

Sur ce plan, le processus d’aide à l’orientation s’appuie sur plusieurs registres complémentaires.

La dimension :

  •   informative : développer la connaissance de l’environnement (médiation de l’information) : savoir chercher, découvrir à travers à la fois l’expérience réelle mais également les opportunités des outils numériques, savoir utiliser ses droits d’accès à la formation ou à l’emploi
  •  éducative : apprendre à décoder les informations, développer l’esprit critique, préciser ce qui nous porte et nous motive, apprendre à décider dans des situations tendues, apprendre à faire des choix éclairés…
  • expérientielle et coopérative : faire des choix suppose d’avoir des points de repère pas uniquement livresques ou académiques mais bien personnels, vécus et collectifs. Sur ce plan, le travail d’orientation peut tirer grand bénéfice d’actions collectives et coopératives (citoyenneté, réhabilitation, art et culture).

Il est essentiel d’initier des dispositifs qui permettent de naviguer dans la complexité du monde et de faire preuve d’agilité pour identifier les ressources et les opportunités du moment. Cela peut contribuer à plus d’équité sociale, notamment pour les personnes éloignées des systèmes institutionnels.

3- La formation

Le développement de compétences par les pédagogies du détour, les contextes informels, les activités sportives et artistiques.

Un premier point est essentiel. La formation est un moyen. Ce qui est en jeu c’est le développement de savoir-faire qui pourront être mobilisés par les jeunes dans différents contextes de travail ou plus largement dans leur vie sociale. Ce qui pose la question difficile de la construction de « situations apprenantes » loin des cadres traditionnels de formation qui sont souvent un mauvais souvenir pour ces jeunes.

Pour nombre d’entre eux en situation d’exclusion, la relation à l’école, aux modes formels d’apprentissage est considérablement dégradée. Ils y ont parfois (voire souvent) fait l’expérience de la difficulté et ont rarement eu l’occasion d’être valorisés dans des systèmes académiques où leurs aptitudes avaient peu l’occasion de s’exercer.

Apprendre est donc souvent associé à une contrainte, et surtout comme une expérience potentiellement déplaisante. Trouver des moyens de contourner ces représentations est un enjeu pédagogique universel. On parle de détours, comme un moyen de contourner les obstacles cognitifs et de trouver des contextes propices à la mobilisation des compétences.

Quelques principes pour mobiliser les jeunes.

Cela suppose d’être attentif à un certain nombre de principes qui sont susceptibles de mobiliser les jeunes.

Plusieurs dimensions sont à prendre en compte :

  •  La dimension expérience à vivre (et pas message à écouter et à appliquer). Pour les jeunes, il s’agit d’être partie prenante d’une réalisation ou d’une réflexion mais qui est ancrée dans le réel
  •  La dimension défi : le jeu est une des stratégie de détours les plus intéressante. Elle met du rythme, de l’échange, du dynamisme.
  •  La dimension apprenante : ce qui est proposé doit être porteur d’obstacles et de connaissances
  •  La dimension coopérative : les problèmes à résoudre où les projets à mettre en œuvre sont analyser et résolus de manière participative.

Les concepts ou notions ne sont introduits que lorsqu’ils sont nécessaires, qu’ils permettent de mieux comprendre un problème ou d’identifier des solutions. Ils ne sont jamais présentés à priori et appris dans leur intégralité. On construit progressivement le savoir juste nécessaire (« Just enough » à la réalisation envisagée. Le savoir est construit en situation et non pas uniquement appris et appliqué.

Les approches de détour

En ce sens, les approches de détour permettent aux personnes de vivre une expérience apprenante dans laquelle elles peuvent mettre en action des compétences qu’elles ont, qui sont mobilisables (on peut en ce sens parler de « Capacitation » au sens d’Amartya SEN) mais qu’ils n’ont jamais utilisées. Excellent moyen pour lutter contre le sentiment d’impuissance. Et surtout d’apprendre de multiples choses, mais l’air de rien, chemin faisant….

Ainsi dans une expérience portée par une Mission Locale (ML Art, Mission Locale du Pays Salonais), les jeunes vont vivre une expérience collective où ils vont devenir commissaires d’une exposition artistique. Alors qu’ils n’ont aucune compétence sur ce sujet à priori. Le défi (concevoir et organiser une exposition artistique) nécessite de très nombreuses compétences et ressources qui seront mobilisées progressivement : trouver le thème, solliciter les artistes, co organiser la dimension logistique, de communication…

Peu d’entre eux en feront leur métier. Mais qu’importe ! Ce qu’ils auront vécu et appris en très peu de temps est irremplaçable.

4- L’accompagnement

Comment aider les personnes à aller vers ce qui est important pour elle ? Comment les soutenir sans faire à leur place ? Et comment les aider à franchir les différents obstacles qui peuvent se dresser devant elles ?

La notion d’accompagnement est très répandue en France, pas toujours utilisée dans d’autres pays européens. Elle renvoie à plusieurs notions proches (appui, aide, soutien, conseil…) sans que l’on définisse toujours clairement la nature de cette relation. On peut également noter que

Elle suppose une clarification sur un certain nombre de points.

Une finalité

Accompagner c’est apporter un appui permettant à une personne de faire quelque chose qu’elle ferait plus difficilement sans cet accompagnement. En ce sens, il ne s’agit pas de faire à sa place, de se positionner en expert, de se substituer à elle en raison d’une vulnérabilité passagère. Il ne s’agit pas non plus de la renvoyer à son libre arbitre car elle peut être démunie et se sentir impuissante face à la complexité de son environnement.

Intervenir en tant que professionnel de l’accompagnement dans ce cadre, c’est convenir et accepter que :

  • ce processus ne soit pas linéaire
  • ce qui va advenir ne soit pas prédéterminé
  • les hypothèses soient construites dans la collaboration avec la personne, chemin faisant
  • la personne demeure experte de sa situation, partie prenante et libre de ses options et décisionnaire
  • Mais que l’appui que lui est proposé rende cette responsabilité accessible et mobilisatrice et non terrifiante ou culpabilisante

Un processus

Accompagner s’entend comme un « cheminer ensemble » en intégrant les détours et les surprises et par opposition à une procédure qu’il suffirait de reproduire pour garantir le résultat. Le processus d’accompagnement suppose :

  •  Un modèle holistique, global, systémique
  •  Une logique d’équilibre à trouver et de dynamique à impulser plus que de résultats à atteindre à court terme. Cela ne signifie pas que le souci de l’efficacité et de l’efficience ne guident pas l’action. Mais le destinataire du service est bien la personne dans sa singularité.
  •  Une valorisation du pouvoir de l’action (le premier pas), de la contribution et de l’initiative
  •  Une approche ouverte permettant à la personne d’élargir ses perspectives
  •  Une valorisation de ses ressources plus qu’une identification de ce qu’il faut compenser
  • Une mise à disposition des ressources les plus pertinentes dans la situation de la personne accompagnée
  • Un recours au soutien social et à l’exercice de la solidarité

Une posture

La manière d’être et de penser du professionnel (sa posture) a une influence sur le sentiment de pouvoir agir de la personne sur sa propre situation. Certaines postures extrêmes (contrôle social, sauveur, militant…) peuvent avoir des impacts négatifs. Pour le prendre en compte, l’accompagnateur cherche à chaque fois à s’appuyer sur quelques principes d’action.

  •  L’accompagnateur garantit la qualité et la pertinence du processus méthodologique proposé, négocié, délibéré
  •  Il ne cherche pas à exercer son pouvoir d’expertise pour amener la personne à adopter son point de vue
  •  Il a conscience d’avoir des ressources ou d’autres points de vue à mettre à la disposition de la personne
  • Les expertises sont constamment négociées

L’accompagnateur :

  • vise collaboration, co construction et délibération
  • propose des régulations continues dans l’avancée du processus
  • structure, soutient, outille, incite, éclaire
  • s’implique en tant que personne dans cet accompagnement tout en clarifiant ce qui est de l’ordre de son métier et des limites propres au dispositif dans lequel il intervient

Dans tous les cas, la personne est experte de sa situation.

Conclusion

Concrètement, l’adoption de ces principes d’intervention par le professionnel permet de mettre en place un travail d’appui au plus près de la réalité des personnes. Il s’appuie sur une vision pragmatique et un questionnement simple « Qu’est ce qui est important pour vous ici et maintenant ? » et sur une évolution progressive de la situation où la personne est toujours concernée, partie prenante « Qu’est ce qui est possible pour vous de faire maintenant au vu de ce qui a déjà évolué ? ».

Elle s’appuie sur une vision humaniste et respectueuse des personnes. Elle peut contribuer à « permettre aux personnes de vivre une vie qui a de la valeur à leurs propres yeux. » Amartya SEN

Télécharger la version PDF