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Synthèse de l'acte 3

12ème rencontre KELVOA - 19 janvier 2022 à distance

Des contextes apprenants : quand le lieu fait lien

Derrière les mots, de quelles initiatives parle-t-on ? Qu’en apprendre ? Peut-on les modéliser ? Entre tiers-lieux multiples et expériences coopératives territoriales, comment s’inspirer de ce foisonnement ? Et en percevoir les clés d’action.

L’intervention de Laurent Duclos

Laurent Duclos : sociologue et économiste du travail, DGEFP, Chercheur rattaché au laboratoire des Institutions et Dynamiques Historiques de l’Économie et de la Société (IDHES).

Entre apprenance et environnements apprenants : de quoi parle t-on ?

Quelques balises et extraits de l’intervention :

La référence à John Dewey : agency of doing

« Les choses sont l’expérience qu’on en fait » (Dewey, 1910). John Dewey parle du sujet comme d’un « agency of doing » qui, par son action, s’efforce à la fois de produire des transformations de la situation et de faire un lien entre son action et ses effets. En somme une sorte de mise en sens de son action (experimenting).

« When an activity is continued into the undergoing of its consequences, when the change made by action is reflected upon into a change made into us, the flux is loaded with significance (Dewey, 1916/1973, p. 495).”

L’importance de l’agencement

« L’opposition historique et formelle entre une apprenance qui mettrait la personne au centre (ses besoins, sa capacité à agir, son sentiment d’efficacité personnelle) et la formation qui viserait à l’instruire (transmission, centration sur le savoir) peut nous amener à rater quelque chose : la prise en compte du milieu qui y est associé :  c’est là où apparaît un concept central : celui d’agencement. »

Alors comment agencer la situation de sorte qu’une personne puisse vouloir apprendre, apprendre à partager ?

La question du contexte versus de l’environnement

Voir la lecture de John Dewey  par Joëlle ZASK,  « Situation ou contexte ? Une lecture de Dewey. », Revue internationale de philosophie 2008/3 (n° 245), p. 313-328. Mais on peut également se référer à : Quéré Louis, « La situation toujours négligée ? », Réseaux, volume 15, n°85, 1997, p. 163-192.

Selon Joëlle ZASK :

  • Un environnement est constitué par l’ensemble des conditions qui interviennent dans le développement des capacités de l’individu au titre de moyen ou de ressources ;
  • Un milieu entoure l’individu mais n’est pas défini de sorte à inclure les modifications qu’un individu ou un groupe peut lui faire subir sous la forme d’une action réciproque. A l’instar du contexte qui est un préalable, un déjà-là, auquel on doit s’ajuster / s’adapter / se conformer / se plier ; il est en quelque sorte immuable, en tous les cas, donné.

 

Des publics rétifs à nos dispositifs ?

Ces agencements sont problématiques à organiser notamment avec des publics qui ont eu de mauvaises expériences….ils sont restés à la porte…ce qu’on leur a proposé n’a pas fait résonance pour reprendre le concept développé par Hartmut Rosa. Et on sait qu’on ne peut pas les rencontrer dans des besoins préformés…on cherche à les amener ailleurs parce qu’ils se seraient égarés…on les incite à rejoindre nos dispositifs

Des victimes ? «Comment ces personnes peuvent-elles devenir autre chose par leur propre chemin » dit Isabelle Stengers.

L’accès serait donc conditionné par la litanie permanente des droits et devoirs ? Rejoins mon dispositif…je t’indique le chemin mais fais un effort.

Or, c’est bien autre chose de travailler avec cette personne sur son propre chemin. L’enjeu est bien d’agencer les moyens à disposition pour que la personne puisse réellement les utiliser dans la conduite de sa propre vie (les moyens on s’en occupe). Moyens que l’on dispose pour que cet agencement ait fonction de dispositif.

Alors comment accueillir un public qui devient rétif ? Il est possible que nous ayons nous même fabriqué de l’invisibilité.

Comment construire des agencements ? En s’appuyant sur la notion d’habilitation…

Face à tous ces empêchements, comment réfléchir à une autre façon d’encourager les personnes…de les accompagner autrement ?

Plutôt que rechercher les compétences ou la qualification à priori, ne pourrait-on inverser la logique en s’interrogeant sur ce qui conditionne les transformations de ces compétences. Les compétences existent également par le biais de l’habilitation à devenir compétent.

La sociologue Marcelle Stroobants, qui a développé le concept, le décrit ainsi :

Si la compétence ne détermine pas la qualification, en revanche la qualification conditionne les transformations de la compétence. (Il faut donc) renverser complètement la démarche : au lieu d’adopter les catégories de savoirs et de compétences comme facteurs explicatifs, il s’agit de les prendre comme objets à expliquer. De la sorte, on peut comprendre comment les compétences se différencient à la fois dans le registre du (…) conventionnel et dans celui des stratégies cognitives.(…) Le mot compétence (…) désigne à la fois le droit (…) et la capacité́ de connaitre. Pour se donner les moyens de comprendre la manière dont les compétences se différencient, il faut les envisager comme produits de processus et non comme points de départ; et envisager ces processus comme séquences d’habilitation. Deviendra compétent celui qui est habilité à devenir habile dans un domaine de connaissance. Cette perspective ne constitue pas une théorie générale ni même une grille. Elle laisse ouverte la possibilité́ de rencontrer des situations où le processus d’habilitation ne peut se dérouler, soit parce que le droit de connaitre est fourni sans les moyens, soit parce que la capacité́ n’est pas assortie d’une reconnaissance légitime.

Marcelle Stroobants, 1994, « La visibilité des compétences », p. 216.

L’habilitation comme condition d’accès à l’expérience ?

Au seuil de l’apprenance, il y a tant de choses qu’un individu ne pourra pas éprouver s’il n’est pas habilité, autorisé à se lancer dans l’inconnu et se lancer à l’assaut de ce qu’il ne sait pas….cette habilitation à faire une expérience qui vont lui permettre d’améliorer les transactions avec son environnement.

Sur ce plan, l’accompagnateur peut s’appuyer sur une forme d’autorité. Il a la possibilité d’agencer la situation dans une certaine direction qui permet à la personne de s’en saisir pour expérimenter et éprouver les impacts de son action sur cette situation.

Mais l’accompagnateur a lui-même vécu la même chose : il en a la mémoire. Il peut permettre de vivre l’expérience d’un passage. Rendre intelligible sur ce qui présente de l’extérieur comme invisible. L’expert sait ce que cela veut dire d’être au dehors.

L’accompagnateur sait aussi que l’on peut comprendre les choses trop vite. Il peut alors accroître la durée pour rendre les choses plus étranges, « défamiliariser » en somme. Car sans cela il n’y aurait pas d’expérience

La question des lieux et du contexte

Produire un agencement, c’est produire quelque chose qui permet que tout ce qui est opaque, tout ce qui s’impose à la personne qu’on cherche à aider devienne des ressources qu’elle va pouvoir manipuler à mesure qu’elle réussira à avoir l’intelligence des situations dans lesquelles elle est plongée. C’est-à-dire qu’il faudra transformer des contextes qui se présentent sous la forme de contraintes auxquels il faut s’ajuster en environnement qu’on peut ajuster…ce qui peut devenir environnement apprenant en rendant visible les conditions qui vont nous permettre d’avoir l’intelligence des situations.

Cela va permettre à la personne de développer des environnements qui lui sont propres, lui permettre de se territorialiser et d’imaginer un chemin qui serait le sien avec les moyens qu’on lui procure…mais avec lesquelles elle va pouvoir fonctionner. Fabriquer un environnement pas seulement richement doté mais surtout un environnement avec lequel la personne peut fonctionner (référence à la théorie des capabilités d’Amartya SEN).

L’espace comme condition de l’expérience », avec une référence notamment à Yogev Zusman, L’espace aléatoire, Paris, PUF, 2021.

L’espace est un ordre de co-existence, de superpositions, de multiplicités irréductibles. Il est marqué par l’absence de totalité, avec comme donnée fondamentale l’aléatoire et le hasard. D’où les possibilités de rencontre « accidentelle », de surgissement : qu’est-ce qui fait évènement ? comment mon attention se déplace ? comment, dans un modèle expressif de l’expérience au sens de Dewey se saisir des choses ? (voir Michel Fabre, « L’enquête et l’expression. Rhétorique et Poétique de la problématisation chez John Dewey », Tréma [En ligne], 45 | 2016).

C’est là où la combinaison du lieu – et d’un agencement au lieu-dit de l’expérience – avec un accompagnement de l’expérience vont pouvoir jouer. C’est là où trouvent à loger la question de l’autorité (fonder la puissance d’agir) et donc de l’habilitation, et la question de « l’initiation pour l’initiative » qui vont permettre de penser et d’ordonner tous les « commencements »…

 

Quelques éléments bibliographiques utiles :

  • Duclos Laurent, 2019, « Mises en situation professionnelle : mode d’emploi », Education Permanente, n° 220-221/2019-3/4, p. 139-154.
  • Duclos Laurent, 2017, « Les conditions de mobilisation de la formation et de l’expérience pour l’emploi », Education Permanente, n° 213, décembre, p.121-132.
  • …et peut être : Duclos Laurent, 2018, « Soutenir le travail d’organisation du travailleur indépendant et l’agencement de situations de gestion », Communication au Colloque de l’Observatoire du Travail Indépendant | #FUTUREOFWORK, Paris, Auditorium du Monde, 12 septembre.

L’intervention d’Antoine Burret

Antoine Burret : sociologue Expert international des tiers-lieux. Il a joué un rôle historique important dans l’émergence et la structuration du concept dans les pays francophones.

Trois questions à Antoine Burret. Définition, fonction et perspectives des tiers-lieux : de quoi parle t-on ?

Retrouvez l’intégralité de l’intervention d’Antoine Burret avec le lien ci-dessous.

https://epale.ec.europa.eu/fr/blog/masterclass-le-role-critique-des-tiers-lieux-dans-la-societe

De très nombreux éléments de son intervention sont développés dans l’article publié sur la plate-forme EPALE : Master-Class : le rôle critique des tiers-lieux dans la société

Extraits :

Pour revenir rapidement à la base du concept : il est formulé dans les années 80 par le sociologue Ray Oldenburg pour souligner l’importance des lieux de sociabilité́ dans les villes, et plus généralement dans les sociétés humaines. Donc, lorsque que l’on parle de tiers-lieu, on pense lieux de sociabilité́. Mais ce concept est formulé en référence aux lieux de sociabilité traditionnels et à leurs usages. Comme les bars, les restaurants, les coiffeurs ou même les églises.

Il repose sur une compréhension de la conception de sociabilité́ spécifique qui prend appui sur les travaux du sociologue allemand G. Simmel. Pour Simmel la « sociabilité́ » est cette situation où les gens se réunissent sans autre but, que la « joie » d’être ensemble. Simmel le repente, cette situation unique est l’expérience la plus démocratique que les gens puissent avoir, car elle leur permet d’être pleinement eux-mêmes, en se débarrassant de tous uniformes et de toutes distinctions sociales.”

Autre balise :

Il existe selon Antoine Burret 4 ingrédients pour « faire tiers-lieu » :

  • Une communauté mouvante de gens qui passent,
  • Un lieu qui ancre la communauté,
  • Des capacités techniques, informationnelles, juridiques…
  • Des services pour faire venir et faire vivre le lieu.

Événement terminé !

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